Friday, February 02, 2007

Chirac parlant Iran, c'est de la bombe


Face à des journalistes, lundi, le Président a minimisé la menace nucléaire, avant, mardi, de rectifier le tir. Récit d'un dérapage qui provoque un tollé.

Depuis début janvier, l'Elysée est tout entier mobilisé vers un objectif prioritaire : réussir la sortie de Jacques Chirac et lui sculpter le buste d'un sage, porteur d'un message fort sur tous les grands dossiers planétaires. Jusqu'à présent, cela avait plutôt bien fonctionné. Lors de sa série de voeux au début de l'année, le chef de l'Etat est parvenu à poser, avec un certain écho, une série de grands enjeux pour la campagne présidentielle à venir. Puis, pour lui donner de la visibilité et montrer que sa voix compte au-delà de nos frontières, ses conseillers lui ont concocté un planning ponctué de prestigieux rendez-vous internationaux : la conférence sur la reconstruction du Liban qui s'est tenue fin janvier à Paris, la conférence pour une gouvernance écologique mondiale qui s'ouvre aujourd'hui à Paris et un sommet France-Afrique prévu à la mi-février à Cannes.

«Polémique honteuse». Jusqu'ici donc, tout allait bien... Mais, lundi, lors d'un entretien avec des journalistes du Nouvel Observateur, de l' International Herald Tribune et du New York Times, tout a dérapé. Jacques Chirac leur a déclaré que si l'Iran possédait l'arme atomique ce ne serait «pas tellement dangereux». Jugeant que «ce qui est dangereux, c'est la prolifération», il a estimé que, si l'Iran envoyait une bombe (sur Israël, comme il le sous-entend), «elle n'aura pas fait 200 mètres dans l'atmosphère que Téhéran sera rasé». Un point de vue en contradiction avec les positions officielles de la France qui, à l'instar, de ses partenaires occidentaux chargés de ce dossier au sein de l'ONU, exige que l'Iran suspende son programme d'enrichissement d'uranium. Conscient de sa bourde, il a tenté dès le lendemain, mardi, de corriger ses paroles en invitant à nouveau ces journalistes à l'Elysée afin de «préciser sa pensée». Et, lorsque les trois journaux ­ qui s'étaient mis d'accord sur une date de publication commune de cet entretien ­ ont publié hier leurs informations, l'Elysée a dénoncé «une polémique honteuse». Avec dans son collimateur les «médias américains qui n'hésitent pas à faire feu de tout bois contre la France». Que s'est-il réellement passé entre Chirac et la presse lundi et mardi ?

C'est d'abord une certitude en cette fin de mandat : Jacques Chirac ne devrait jamais sortir de ses fiches. Lors de ses rares entretiens avec des journalistes, elles sont pourtant systématiquement étalées sous ses yeux : imprimées en gros caractères, plastifiées, et avec des passages entiers surlignés en jaune et rose pour bien insister sur «les messages essentiels». Même pour des conservations dites «off» dans le jargon journalistique (c'est-à-dire ne donnant pas matière à citation directe de ses propos entre guillemets), le Président ne s'aventure jamais à converser sans ses fameuses fiches. Lundi, lorsqu'il reçoit les journalistes à l'Elysée, le chef de l'Etat pose donc ses notes devant lui. Mais, lorsque deux questions lui sont posées sur l'Iran au cours de cet entretien consacré à l'écologie, il parle sans filet. «Chirac nous fait une réponse axée sur le risque de la prolifération, qui est, nous dit-il, sa principale préoccupation. Il ajoute, dans une sorte de démonstration par l'absurde, que le plus "dangereux", dans cette affaire, c'est la prolifération, et pas tant le fait que l'Iran possède une bombe atomique», raconte Guillaume Malaurie, codirecteur de la rédaction du Nouvel Observateur. Et Chirac de prononcer la phrase sur la vitrification de la capitale iranienne.

«Emmerdés». A cet instant, poursuit Malaurie, «on a bien vu que les deux conseillers qui étaient présents ­ le porte-parole Jérôme Bonnafont et une conseillère environnement ­ ont tiqué. Ils nous ont dit : "C'est off, c'est off", mais le Président a continué à parler sans nous demander de couper les micros ou quoi que ce soit. On est tous sortis de là en se disant qu'on avait quelque chose de fort. Les journalistes du Herald Tribune et du New York Times voulaient sortir l'info tout de suite, mais nos accords prévoyaient que la publication ne devait intervenir que jeudi, jour de sortie de l'Obs .»
Mardi matin, au lendemain de l'interview, l'Elysée les appelle pour leur dire que le Président souhaite les revoir. «On a bien senti qu'ils étaient extrêmement emmerdés. Qu'ils avaient le sentiment qu'une bourde avait été commise, assure Guillaume Malaurie. Le mardi, donc, Chirac nous reçoit une demi-heure, vers 14 heures, et rectifie son propos : "C'était un raccourci schématique, extrêmement schématique. Plus encore, c'est une formule que je retire." Il nous dit que, dans son esprit, c'était du off. Mais il maintient que, si l'Iran envoyait une bombe, elle serait détruite avant de quitter le ciel iranien. Nous avons tout de suite décidé de jouer la transparence et de raconter dans le journal exactement comment les choses se sont passées.»

Dans l' International Herald Tribune d'hier, les journalistes racontent avoir vu le lundi un Chirac «aux mains légèrement tremblantes», «cherchant les noms et les dates et s'appuyant sur ses conseillers pour remplir les vides». Mais, le mardi, ils assurent avoir retrouvé un homme «à la fois confiant et complètement à l'aise avec son sujet». Des propos que l'Elysée ne digère pas. Le Château compte pourtant de nombreux conseillers fans de la série télévisée américaine A la Maison Blanche, qui relate notamment les relations de la presse américaine avec le pouvoir. Pour achever son mandat en apothéose, comme il le souhaite tant, Chirac va maintenant devoir réviser ses fiches.

Par Antoine GUIRAL, Olivier COSTEMALLE