Thursday, February 01, 2007

Nucléaire iranien: Chirac rectifie le tir


Face à des journalistes, il aurait estimé qu'Israël raserait Téhéran en cas de tir d'un missile nucléaire • Le lendemain, il convoque ses interlocuteurs pour se dédire • L'Elysée parle de «polémique honteuse» •

Chacun ses bourdes. Cette fois, c'est au tour de Jacques Chirac. Lors d’une interview accordée lundi à trois journaux, le Nouvel Observateur, le New York Times et l’International Herald Tribune, le président de la République s’est quelque peu laissé aller en parlant de la menace nucléaire de l’Iran.

Selon l’International Herald Tribune daté de jeudi, face aux journalistes, Chirac a commencé par décrire comme «très dangereux» le refus de l’Iran de cesser de produire de l’uranium enrichi avant d’évoquer le cas d’un Iran qui posséderait l’arme nucléaire. Ce n’est pas tant le fait de posséder «une bombe nucléaire» qui serait dangereux, a déclaré le président français selon l’Observateur et le Herald Tribune. «Une, peut-être une deuxième un peu plus tard, […] qui ne lui servira à rien», a estimé le chef de l'Etat. Avant d’ajouter: «Où l’Iran enverrait-il cette bombe? Sur Israël? Elle n’aura pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran sera rasée». Le Nouvel Observateur affirme également que lors de cet entretien, Chirac avait jugé «très tentant pour d’autres pays qui ont de gros moyens financiers» de se préparer au nucléaire militaire, en citant l’Arabie saoudite et l’Egypte.

Conscient de sa bévue, le président a demandé à ces trois journaux de «rectifier» l’interview. Il a rencontré de nouveau les journalistes mardi, et est revenu sur ses propos de la veille. Il a d’abord dit aux journalistes qu’il était persuadé avoir parlé «off the record», (c’est à dire que ses déclarations ne seraient pas diffusées) avant de concéder avoir utilisé «un raccourci extrêmement schématique». «Plus encore, a-t-il ajouté, c’est une formule que je retire.»

Jacques Chirac a déclaré selon les propos diffusés en anglais par l’International Herald Tribune et traduits par Reuters: «C’est moi qui avais tort et je ne veux pas le contester. J’aurais dû faire davantage attention à ce que je disais et comprendre que, peut-être, j’étais on the record». Le président français a en revanche maintenu que «si l’Iran possédait une bombe nucléaire et si elle était lancée, elle serait immédiatement détruite avant de quitter le ciel iranien», rapporte l’hebdomadaire français. «Et il y aurait inévitablement des mesures de rétorsion et de coercition», a ajouté le chef de l’Etat. «Ce qui est très dangereux, a-t-il insisté, c’est la prolifération.» Concernant ses propos sur l’Arabie saoudite et l’Egypte, Jacques Chirac a précisé qu’il ne voulait pas viser tel ou tel pays.

L'Elysée se réveille. Le palais présidentiel a réagi jeudi et a dénoncé comme «une polémique honteuse» la manière dont ont été rapportés les propos du Président. L'Elysée en a profité pour critiquer «certains médias outre-atlantique qui n’hésitent pas à faire feu de tout bois contre la France». Dans un communiqué publié jeudi, la présidence a précisé que Chirac avait «réaffirmé de la façon la plus claire la politique française vis-à-vis de l'Iran». Réitèrant le fait que «la France, avec la communauté internationale, ne peut accepter la perspective d'un Iran doté de l'arme nucléaire, et demande à l'Iran de respecter ses engagements au titre du TNP, tout en réaffirmant le droit de ce pays à l'énergie nucléaire civile». «L'Iran, qui n'a pas prouvé que son programme nucléaire était destiné à des fins pacifiques, doit appliquer les résolutions de l'AIEA et de l'ONU, et rétablir la confiance qu'il a rompue pendant une longue période de dissimulation de ses activités nucléaires», ajoute le communiqué.

La présidence française souligne que les trois Européens (France, Allemagne, Royaume Uni), avec la Russie, la Chine et les États-Unis, «agissent de façon solidaire et veillent à l'unité de leur position», comme l'a montré l'adoption à l'unanimité de la résolution 1737 du Conseil de sécurité de l'ONU. Tout en rappellant que l'offre faite par les Six en juin dernier pour une coopération dans les domaines du nucléaire civil, économique et de sécurité, «est toujours sur la table. Si l'Iran accepte de suspendre par un geste souverain ses activités liées à l'enrichissement, alors le Conseil de sécurité de l'ONU suspendra le processus de sanctions en cours et la négociation s'engagera avec l'Iran».

Dans son communiqué, l'Elysée juge le programme nucléaire iranien «opaque et donc dangereux pour la région sur le plan de la prolifération et de la course aux armements» et rappelle que «la France milite pour que le Moyen Orient devienne une zone libre d'armes de destruction massive». La présidence estime aussi que, sur le plan régional, la France «a toujours estimé qu'un fil de dialogue devait être maintenu avec ce pays pour le traitement des crises et l'avenir de la région». Et rappelle enfin que «la France a dénoncé et condamné à plusieurs reprises» les déclarations du président iranien Mahmoud Ahmadinejad qui nie la Shoah et appelle à la destruction d'Israël.

Par A.D. (avec agences)
LIBERATION.FR