Wednesday, March 18, 2009

L’Iran demain : et si c’était Reza Pahlavi?


Ce 12 février, la révolution khomeyniste fête en Iran ses trente ans dans le marasme économique et la tristesse. Depuis plus de vingt-cinq ans, le fils du shah en exil tisse des liens. Aujourd’hui, il veut s’affirmer comme le chef de file des opposants. Paris Match est allé l’interviewer aux Etats-Unis.

Presque trente ans qu’on le voit se battre. Trente ans qu’on se dit que le fils du shah se berce d’illusions. Cet ex-enfant gâté dont le destin a basculé en 1979, quand la famille Pahlavi a été chassée d’Iran. «Son» Iran. Il a tenu bon. Il a grandi, mûri, vieilli, réfléchi. Non, il ne se présente plus comme l’alternative au pouvoir des mollahs. Il est devenu modeste, réaliste, mais toujours habité par un destin qui le dépasse ; il veut être celui qui mènera les Iraniens vers un choix démocratique via la désobéissance civile, «comme Gandhi», ajoute-t-il. Il veut fédérer l’opposition, rassembler les opprimés et les oppresseurs, pardonner, amnistier, «comme l’a fait Mandela». Ensuite... «Ensuite, ils décideront.» Un mentor, en quelque sorte.

En attendant cette révolution de velours, il vit à plus de 4 000 kilomètres de son pays. Dans les environs de Washington, avec sa femme et ses trois filles, il habite une maison cossue posée sur une nature manucurée, entre forêts décharnées par l’hiver et itinéraire compliqué. Comme un bourgeois américain. Mais chez les Pahlavi, les enfants ne voient pas papa partir le matin au bureau et rentrer le soir avec sa sacoche. Ses journées sont faites de rencontres un peu secrètes, de coups de fil codés, de longues heures sur Internet, aussi d’espoirs et de découragement. Impossible de l’interroger sur ses contacts sous peine de les mettre en danger. Donc impossible de connaître ses chances. De vérifier ses dires. Face à cet homme plutôt chaleureux, spontané, volubile, on est partagé entre l’emballement et le doute. Comme lui.

Paris Match.
Vous publiez un livre qui est un vrai programme politique, comme si votre entrée en scène était imminente...

Reza Pahlavi. Cela fait trente ans que j’agis, en sous-marin, à structurer l’opposition, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran. Aujourd’hui, c’est mûr : une nouvelle génération est enfin prête à dépasser ses divergences gauche-droite, monarchiste-républicain. Il y a un passé commun sous l’oppression, il y a une volonté commune de s’impliquer.

Quel est votre rôle?

Fédérer ces volontés, les structurer, les organiser, les aider à agir et les rendre publiques, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran. Les opposants doivent sentir qu’ils ne sont plus seuls.

Vous n’êtes pas retourné en Iran depuis vos 17 ans, comment faites-vous pour sentir la réalité sur place?

Grâce à Internet, aux portables, à YouTube ; même sous le joug des mollahs, le moindre événement est immédiatement rapporté, avec photos, commentaires... Je reçois des messages des émissaires ; je suis en contact permanent avec eux.

“Eux”? Les opposants? Mais n’a-t-on pas décapité toute velléité d’opposition?

C’est une opposition non déclarée, non organisée, certains appartiennent au système. Cela va des syndicalistes aux membres d’organisations féminines, de certains ayatollahs, des intellectuels jusqu’aux pasdarans, aux bassidjis...

... Les pasdarans, les “gardiens de la révolution”, vous parlent? Ceux qui arrêtent, emprisonnent, espionnent, dénoncent la population...

Parfaitement! Ce ne sont pas les 15% qui bénéficient du régime mais les 75% de fonctionnaires appauvris, déprimés, les désenchantés d’un rêve brisé. Les ex-révolutionnaires qui ont cru en la révolution se sentent piégés et culpabilisent. Certains de mes contacts avaient fondé l’armée des pasdarans et sont perçus par la population comme les agents d’un régime honni. Or, il est très important qu’ils comprennent que la victoire de la démocratie et de l’état de droit exclut toute idée de vengeance et d’exécution, contrairement à ce qu’a fait Khomeyni. Cela aussi c’est une de mes missions : préparer l’amnistie générale et abolir la peine de mort.

Dans votre livre, vous dites que les ayatollahs au pouvoir n’ont pas tout le clergé du pays derrière eux...

Et de loin! Nombreux sont les religieux lucides qui sont contre la théocratie, qui voient les Iraniens se détourner en masse de la religion. Khomeyni s’est approprié le clergé en imposant ses vues hégémoniques, il a saqué tous ceux qui n’étaient pas d’accord. Certains, comme les ayatollahs Montazeri et Boroujerdi, se sont permis de le clamer haut et fort, ils sont aujourd’hui assignés à résidence. On n’ose pas les tuer car le peuple les apprécie.

Est-il vrai que vous avez rencontré le petit-fils de Khomeyni?

Oui, il y a quelques années. J’ai eu le sentiment qu’on était sur la même longueur d’onde. Il m’a dit en gros : “Mon grand-père a créé beaucoup de dommages, je n’en suis pas responsable.” Il n’est pas du tout dans le camp du régime qui le tolère. Lui se tient coi.

Il y a tout de même pas mal d’Iraniens qui doutent de vous, qui estiment que vous n’êtes pas légitime pour mener cette mission de fédérateur de l’opposition. Que leur répondez-vous?

Qui peut faire l’unanimité? Ce que je peux vous affirmer, c’est que chaque jour de plus en plus d’Iraniens, surtout des jeunes, me rejoignent et me pressent de m’engager concrètement et surtout le plus rapidement possible. En effet, les pays occidentaux doivent comprendre qu’avec le développement du nucléaire en Iran le temps est compté. Quand le régime aura sa bombe, le rapport de force sera en faveur de ce dernier. J’alerte depuis des années les chefs d’Etat occidentaux sur le danger de l’exportation de la révolution islamique. Ils n’ont vu longtemps qu’une poignée de musulmans qui s’entre-tuaient. Ils fermaient les yeux, les entreprises en profitaient pour faire du business, leur vendre des armes... Aujourd’hui, les appels au djihad ne se font plus des mosquées de Damas ou Beyrouth mais des banlieues de Paris, Londres, Madrid... L’Histoire, hélas, me donne raison. Si on réfléchit sérieusement à la chose, on arrive vite à la conclusion que les contrats signés avec la République islamique représentent un montant ridicule face à l’ensemble des coûts qu’engendre pour la communauté internationale l’existence même de ce régime. Pensez au coût du terrorisme, de l’instabilité géopolitique et de l’insécurité. Mais aussi au coût économique dont ce régime fasciste est le seul responsable.

Faut-il cesser de faire affaire avec l’Iran, au risque de laisser le terrain à nos concurrents?

Votre sécurité est à ce prix : des sanctions économiques et diplomatiques ciblées. Il ne faut plus rien laisser passer sur les droits de l’homme ; par exemple, manifester clairement sa condamnation quand le bureau de l’avocate Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, est saccagé et fermé, comme cela vient d’arriver. Pareil pour la fermeture des journaux, l’emprisonnement des journalistes... Il faudrait aussi bloquer les avoirs individuels de certains hauts dignitaires du régime qui ont vidé les caisses de l’Etat à leur profit.

Quand Obama annonce qu’il voudrait renouer le dialogue avec les Iraniens, vous êtes inquiet?

L’élection du président Obama suscite un grand espoir dans le monde. Les valeurs démocratiques, humanistes et de défense des droits de l’homme qu’il porte avec courage ne peuvent qu’aider notre peuple dans sa lutte pour la liberté. Ces valeurs sont en contradiction fondamentale avec l’essence même de ce régime qui veut la destruction des idéaux des Lumières. C’est pourquoi, face à ce régime, la diplomatie ne peut pas réussir. Il serait dangereux de perdre du temps dans des discussions interminables qui vont rapprocher le régime de la bombe.

Qu’est-ce qui vous fait dire que le peuple à l’intérieur est prêt à la révolte?

Ils en ont tellement assez, dans toutes les couches de la société, que la peur de la répression ne les bloque même plus. Je ne prône pas un putsch violent, je prône la désobéissance civile à la manière de Gandhi. En clair : une paralysie du pays via des grèves sectorielles tous azimuts, des manifestations quotidiennes dans la rue, de plus en plus amples, comme celles qui ont mené au renversement du régime de mon père.

Vous vous voyez à la tête de ce mouvement?

Je ne reculerai pas devant mes responsabilités. A ce stade je suis leur point d’appui extérieur pour mobiliser la communauté internationale et coordonner leurs actions à l’intérieur. Après la chute du régime nous entrerons dans un processus démocratique [voir encadré] et le peuple décidera librement de l’avenir institutionnel du pays.

Et quel est votre objectif à ce jour?

Il est temps de nous organiser et de créer une alternative sérieuse et crédible à ce régime. Aujourd’hui je souhaite installer une structure centrale en Europe, qui soit un point de ralliement pour tous les opposants démocrates à ce régime.

Pourquoi ne pas l’ouvrir à Washington où vous habitez? Impliquer l’Amérique, qui compte la plus importante communauté iranienne?

Pour l’heure l’Amérique est trop embourbée dans ses autres conflits pour piloter cette stratégie de soutien à l’opposition iranienne. Elle peut être copilote, à côté de l’Europe qui est stratégiquement très importante pour nous.

Avez-vous rencontré Nicolas Sarkozy? Bernard Kouchner?

Non... Mais je crois qu’ils ont très bien compris la situation.

N’avez-vous jamais eu envie de laisser tomber, de mener une vie plus douce, une carrière plus normale?

Non, je ne pourrais pas dormir tranquille si je n’avais pas fait tout ce que je pouvais pour ce pays. Je suis habité par un destin, je l’avoue...

Paris Match
Catherine Schwaab
Dimanche 8 Février 2009