Friday, March 14, 2008

L'Europe contre les cancers buccaux

Dr Roger MONTEIL

La bonne connaissance des aspects fondamentaux des lésions précancéreuses et des carcinomes buccaux par l’odontologiste contribue à lui faire prendre la place qui lui revient parmi les équipes multidisciplinaires en charge de ces pathologies qui constituent un véritable problème de santé publique. Son rôle est également éminent dans la détection précoce de ces lésions.

Épidémiologie des carcinomes épidermoïdes en Europe et dans le monde
Pr. Crispain SCULLY
(Eastman Dental Institute for Oral Health Care Sciences - Londres)


Le carcinome épidermoïde de la cavité buccale figure parmi les dix plus fréquents cancers dans le monde. Alors qu'il existe une réduction de l'incidence du cancer de la lèvre dans beaucoup de pays avec une diminution de la mortalité associée, les perspectives concernant les cancers intrabuccaux sont moins favorables. Dans beaucoup de pays, on observe une augmentation de l'incidence et de la mortalité pour les cancers de la langue ainsi que pour autres localisations buccales.
On estime à 378 500 le nombre de nouveaux cas diagnostiqués annuellement, dont les trois quarts dans les pays en voie de développement où le cancer de la bouche représente la troisième forme de cancer la plus fréquente, après les cancers de l'estomac et du col de l'utérus. Au Sri Lanka, Inde, Pakistan et Bangladesh, le cancer de la bouche est le cancer le plus fréquent et dans certaines partie de l'Inde il représente jusqu'à 5% de l'ensemble des cancers. Pour les pays industrialisés, le cancer de la bouche se situe encore à la huitième place. Dans la Communauté Européenne, on estime à 32 000 le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année. Cependant, l'incidence varie d'une façon importante entre les pays. Par exemple, dans certaines parties du nord-est de la France, le carcinome épidermoïde de la cavité buccale est le cancer le plus fréquent chez les hommes.
La proportion des décès attribuables au carcinome épidermoïde de la bouche, varie à travers l'Europe. Pour les hommes, le taux de mortalité va de 1% aux Pays Bas à 9% en France. Pour les femmes, il est de l'ordre de 1% partout dans la Communauté Européenne. Chez les hommes, les incidences et les mortalités les plus élevées sont constatées dans les pays où la production et la consommation de vin sont importantes, par exemple : en France, Italie, Portugal, Luxembourg et Allemagne.
Les taux de mortalité pour le carcinome épidermoïde de la bouche ont considérablement augmenté dans beaucoup de pays. En Allemagne, Tchécoslovaquie et Hongrie, le taux de mortalité a été presque multiplié par dix en une génération chez les hommes de 35 à 44 ans. Une analyse systématique de la mortalité associée au cancer de la bouche, dans 28 pays européens, montre une nette tendance à l'augmentation entre 1955 et 1989 chez les hommes de 35 à 64 ans. Seule la Finlande n'enregistre pas d'augmentation pendant cette période. L'analyse des taux de mortalité, selon les classes d'âges, révèle une nette augmentation dans la plupart des pays européens, indiquant l'existence d'une tendance forte qui va conduire à l'accroissement des taux de carcinomes épidermoïdes de la bouche dans les décades à venir.

Biologie des précancéroses et des carcinomes buccaux
Pr. Finn PRAETORIUS (Københavns Tandlaegehøjskole)


Le cancer est une maladie génétique due à des mutations de l'ADN conduisant à des perturbations du contrôle de la physiologie cellulaire. Lorsque plusieurs de ces perturbations interviennent sur différents gènes, dont certains ont un rôle crucial dans le contrôle de la division, de la multiplication ou de la différenciation, la cellule peut être à l'origine d'une tumeur maligne, caractérisée par une croissance invasive et la production de métastases.
Les altérations génétiques sont héritées ou acquises. Parfois, en présence d'une susceptibilité génétique, un cancer peut être déclenché par des agents environnementaux. Dans la majorité des cas, le cancer est causé par les seuls facteurs environnementaux. La cancérogénicité d'un agent physique ou chimique est corrélée à son pouvoir mutagène. Concernant le cancer de la bouche, les facteurs environnementaux principaux sont le tabac et l'alcool. Pour le cancer de la lèvre, les rayons UV sont un facteur important. Le cancer est un phénomène progressif se développant par étapes, pour lequel plusieurs altérations géniques sont nécessaires. Des modifications spécifiques correspondent à chaque étape. Différents types de gènes intervenant dans le cancer ont été identifiés : les oncogènes et les gènes suppresseurs de tumeurs.
Environ 90% des cancers de la bouche sont des carcinomes épidermoïdes, dont l'origine est l'épithélium de la muqueuse buccale. Les carcinomes épidermoïdes de la muqueuse buccale peuvent se développer de novo, apparemment sans altération morphologique préalable, mais dans beaucoup de cas ils se développent à partir de précancéroses. Diverses lésions et diverses pathologies systémiques sont connues pour être des précancéroses. Une lésion précancéreuse est définie comme un tissu morphologiquement altéré, dans lequel le risque de développement d'un cancer est augmenté, par rapport à son homologue sain ; la leucoplasie et l'érythroplasie sont des exemples de lésions précancéreuses. Un état précancéreux, est défini comme une pathologie systématique au cours de laquelle il existe un risque accru de cancer ; la fibrose juxta épithéliale, la dysphagie sidéropénique, le syndrome de Gougero-Sjögren et éventuellement le lichen plan, sont des exemples d'états précancéreux.
L'évaluation des cancers repose sur la clinique, l'imagerie, l'anatomie pathologique et la biologie. Du point de vue des manifestations buccales, les modifications de couleur, de texture, de consistance (induration), ainsi que la présence d'ulcérations persistantes, et douloureuses, représentent des signes d'appel. Les biopsies, pour être significatives, doivent être réalisées dans les zones présentant ces types d'altérations. Dans les précancéroses, différents types de dysplasies épithéliales peuvent être décelées à l'examen microscopique. Une dysplasie épithéliale, se caractérise par la présence d'altérations cytonucléaires, localisées dans l'épithélium de la muqueuse, semblables à celles observées dans les carcinomes épidermoïdes mais sans invasion du conjonctif adjacent. On distingue des dysplasies légères, modérées, sévères et le carcinome in situ. Pour ce dernier, le processus dysplasique s'étend de l'assise basale à la surface de l'épithélium.

Lichen plan et carcinomes buccaux
Pr. Isaac van der WAAL (Academisch Ziekenhuis Vrije Universitet - Amsterdam)


Les manifestations cliniques du lichen plan vont de la forme striée blanche, bilatérale, plus ou moins classique, à laquelle se mélange parfois une composante érythémateuse, jusqu'à des lésions érosives entièrement rouges. Dans cette dernière forme, c'est d'abord le diagnostic d'érythroplasie qui importe.
Un diagnostic clinique formel de lichen plan oral est parfois délicat. La principale caractéristique histologique du lichen plan est la présence d'un infiltrat inflammatoire chronique au niveau de la jonction dermo-épidermique ou mucite chronique jonctionnelle. La densité de cet infiltrat est extrêmement variable, allant de la discrétion jusqu'à la plus grande densité. Au niveau de l'épithélium, la dégénérescence des cellules basales est le signe le plus constant. La présence d'une dysplasie épithéliale est considérée par la majorité des anatomopathologistes comme un critère d'exclusion du diagnostic de lichen plan oral. Cependant, d'autres pathologistes emploient le terme de dysplasie lichenoïde en présence d'une dysplasie épithéliale bordée par un infiltrat lymphocytaire sous épithélial en bande, présentant alors une certaine ressemblance avec le lichen plan.
Ainsi, il apparaît que devant des critères de diagnostic cliniques et anatomopathologiques de lichen plan oral, variables selon les auteurs, l'étude des transformations malignes, même pour des lichens confirmés histologiquement, est problématique.

Leucoplasie et carcinomes buccaux
Pr. Angelos ANGELOPOULOS (Faculté de Chirurgie-Dentaire - Université Nationale et Kapodistriane d'Athènes)


La leucoplasie est une lésion buccale courante qui s'observe principalement chez les hommes de plus de 40 ans.
" Leucoplasie " est une terminologie purement clinique utilisée pour désigner une tache ou une plaque blanche de la muqueuse buccale, pour laquelle aucun autre diagnostic ne peut être proposé. Au niveau de la muqueuse buccale, elle est ubiquitaire. L'aspect est variable depuis la tache blanchâtre avec une surface régulière, jusqu'à la plaque exophytique, épaisse, ferme, irrégulière et même fissurée. La taille est également variable, de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre. Ainsi, en fonction de la présentation clinique, la lésion est classée en leucoplasie homogène et en leucoplasie non homogène. Le second type de leucoplasie est lui même divisé en plusieurs sous types : leucoplasie nodulaire, leucoplasie érosive, leucoplasie tavelée, érythroleucoplasie et leucoplasie verruqueuse.
Du point de vue anatomo-pathologique, au microscope, à une lésion décrite cliniquement comme une leucoplasie peuvent correspondre l'une des anomalies suivantes ou une combinaison de ces anomalies : hyperkératose (hyperorthokératose ou hyperparakératose), acanthose, dysplasie épithéliale, carcinome in situ et carcinome micro-invasif. Pour environ 80 à 85% des leucoplasies le diagnostic anatomo-pathologique est une hyperkératose et / ou une hyperacanthose, alors que dans 15 à 20% il existe une dysplasie épithéliale, un carcinome in situ ou un carcinome micro-invasif.
La leucoplasie est une lésion précancéreuse ; ce qui signifie que si elle n'est pas traitée, il existe un risque qu'elle se transforme et devienne un carcinome épidermoïde. Cet aspect sera détaillé dans notre présentation.
Le caractère propre d'une leucoplasie doit être évalué au microscope, après une biopsie par incision ou excision en fonction de la taille. Les patients avec une leucoplasie doivent être traités avec beaucoup d'attention et de sagesse, en tenant compte du diagnostic anatomo-pathologique. Dans tous les cas, ces patients requièrent une surveillance à long terme


Conferenciers

PROFESSEUR ANGELO ANGELOPOULOS - Leucoplasie et carcinomes buccaux

PR CRISPIAN SCULLY - Epidémiologie des carcinomes de la bouche à travers l'Europe et le monde

PR ISAAC VAN DER WAAL - Lichen plan et carcinomes buccaux

Bibliographie

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