Saturday, November 08, 2008

La candidate perpétuelle



En travaillant, en solo, son image de rénovatrice et d’opposante, Royal a gagné son combat.

Ségolène Royal ou l’éternel retour. Un come-back qui se chiffre à 29,59 % des suffrages militants. Un peu moins de la moitié de son score de la primaire de 2006. Pas assez pour s’emparer, à elle seule, du parti. Mais quatre points de plus, tout de même, que ses principaux concurrents dans la course à la succession Hollande, Martine Aubry et Bertrand Delanoë.

Deux ans ont passé depuis ce soir de novembre qui l’avait vue installée, par ces mêmes militants, dans le tailleur de la concurrente présidentielle de Sarkozy. Et dix-huit mois depuis sa promesse, à l’issue de sa défaite : «Quelque chose s’est levé et ne s’arrêtera pas.»«Un an et demi de petits complots pour l’écarter, estime François Rebsamen, un de ses proches. Ce qui a été mis en place au PS, c’était un dispositif pour l’éliminer.» Royal, pourtant, est toujours là. Mais a-t-elle vraiment quitté le devant de la scène ?

Rémanente.Là où Sarkozy adopte la posture du coup d’éclat permanent, Royal, elle, a inventé une autre figure : celle de la candidate rémanente. Sa campagne, au fond, n’a jamais pris fin. En témoignent les législatives de 2007, à la fois troisième tour face à Sarkozy et round supplémentaire contre ses «camarades». Une occasion de demeurer au centre du jeu socialiste, en récidivant dans l’appel à François Bayrou commis dans l’entre-deux tours de la présidentielle, ou en annonçant qu’elle«présentera sa propre motion» au congrès du PS. Lequel est savamment repoussé par ses camarades, pour une fois d’accord, à un an et demi plus tard… Car le temps joue contre elle. Ses anciens soutiens désertent, ses partisans s’interrogent. Quant à sa popularité, elle s’effrite lentement mais sûrement dans les sondages. Au profit de Dominique Strauss-Kahn, parti au FMI, et de Bertrand Delanoë qui, depuis sa mairie de Paris, rumine la revanche du «old party». «Ça a pataugé à mort, se rappelle Patrick Mennucci, ex-pilier de sa campagne. Il y a eu la dépression de l’après élection, Hollande qui est parti et les amis qui sont repartis… Elle s’est retrouvée seule et s’est repliée sur des trucs qui n’avaient rien à voir avec le parti.»

Tailleur. Confrontée en interne au front du refus, Ségolène Royal, comme à l’accoutumée, joue l’extérieur. On la croise au chevet des industries malades de la mondialisation, chez le chausseur Charles Jourdan ou les sidérurgistes lorrains d’Arcelor Mittal. Elle écrit, aussi, revisitant sa défaite dans Ma plus belle histoire, c’est vous, ou se demandant, avec le sociologue Alain Touraine, Si la gauche veut des idées. Elle voyage. Travaille sur ce fond, qui, pendant la présidentielle, lui avait fait défaut, planche, groupes d’experts à l’appui, sur les relations internationales et l’économie. Et, pour s’installer dans le tailleur de l’opposante numéro un, s’en prend avec régularité au Président. Au point de jeter le doute, sans la moindre preuve, sur le«rapport» entre la «mise à sac» de son domicile et ses accusations de «mainmise du clan Sarkozy sur la France»…

Car, toujours, elle est en campagne. Celle des municipales, qu’elle bat de ville en ville : «Je fais mon devoir.» Et, aussi, celle du congrès. «Si je suis capable de rassembler les socialistes sur cette offre politique, j’irai jusqu’au bout de cette démarche», ébauche-t-elle en janvier. «Si les militants en décident ainsi et s’ils l’estiment utile pour le PS, j’accepterai avec joie et détermination d’assumer cette belle mission de chef de parti», confirme-t-elle en mai. Avant de rétropédaler, en septembre, et de mettre sa candidature au «Frigidaire» pour rendre possible le deal avec les barons locaux de la Ligne claire, qui refusent un présidentiable à la tête du parti. «Le moment où elle fait ce pas en arrière, c’est le moment décisif», estime Mennucci. Il lui assure l’appui des puissantes fédérations des Bouches-du-Rhône et de l’Hérault. Sans lesquelles elle ne serait jamais arrivée en tête. Un «hollandais» en convient : «C’est ce jour-là qu’on a perdu le congrès.»

A l’époque, celui-ci est loin d’être gagné pour les amis de Royal, qui s’extrait du théâtre des opérations. «Ségolène ne s’est pas du tout occupée de la bataille du parti, résume Rebsamen. Il ne fallait pas qu’elle soit présente tous les jours.» Elle se limite donc à quelques apparitions soignées. Comme celle qu’elle réserve à ses fidèles, fin septembre, au Zénith de Paris, au cours d’un ahurissant show musico-politico-théâtral. «Ségolène ? Elle est ailleurs», glisse Martine Aubry, visant tant une matrice psychologique qu’une pratique politique.

Foules. De fait, le capital de Royal réside dans un rapport charismatique aux foules. Hollande : «Ségolène déplace le plus de monde. Elle a une légitimité de suffrages, pas une légitimité de parti. C’est celle qui mobilise le plus le sien.» Un dirigeant confirme, qui explique sa pole position par une «vraie mobilisation des adhérents». «Avec un thème qui a très bien fonctionné, celui du changement. Même si c’est de la poudre aux yeux.» Car c’est bien un «syndicat du crime», raille un jeune socialiste, qui œuvre dans l’ombre de la madone de la rénovation. On y croise, entre autres, François Rebsamen, ex-patron des fédérations du PS, le sénateur maire de Lyon, Gérard Collomb, l’homme fort des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini ou son homologue de l’Hérault, Robert Navarro, proche du sulfureux Georges Frêche.

Mais l’essentiel est ailleurs : dans l’image. Celle que l’ex-candidate, qui parlait volontiers, pendant la présidentielle, compétitivité et soutien aux PME innovantes, offre lorsqu’elle tonne, en pleine crise financière, contre «la caste des financiers irresponsables qui s’en met plein les poches». Ou, à la veille du scrutin, lorsqu’elle offre de «rembourser les cartes» aux militants désargentés. Propositions fort peu désintéressées, mais payées en suffrages militants sonnants et trébuchants. Le bénéfice d’un investissement politique de tous les instants.

DAVID REVAULT D’ALLONNES